PRIEURE DE SAINT ROMAIN LE PUY
Un cri lancé vers le ciel
Origines
Il est fort probable qu’ait existé à l’origine un lieu de culte paien coiffant le pic et qui, selon certains auteurs, aurait été converti à la foi des Evangiles par Saint Martin en personne. Honoré d’Urfé y situe dans son Astrée un temple dédié à Vénus, déesse de l’Amour.
La première, chère à Maurice Barrès, fut le nid d’où l’alérion des Ducs de Lorraine-Habsbourg prit son envol jusqu’à Vienne. Haut-lieu national aussi où à trois reprises les habitants ont affirmé farouchement face aux prétentions allemandes leur attachement à la France. C’est enfin un sanctuaire marial où jusqu’à nos jours des générations de fidèles sont venus prier Notre-Dame. Et creuser la terre de leurs mains dans l’espoir d’y trouver de petits fossiles de lys de mer en forme d’étoile, que la tradition dit tombées du manteau de la Vierge.
Il n’empêche, toutes proportions gardées, le piton volcanique forézien est un lieu où souffle l’esprit et, si l’on en croit les commentaires sur le livre d’or de l’église prieurale qui le couronne, il inspire aussi les visiteurs. Dominant la plaine, cette église perchée à 80 mètres est peut-être le plus ancien (1) et en tout cas le plus prestigieux jalon de l’art roman en Forez. Classée monument historique dès 1899, elle faisait autrefois partie d’un ensemble comprenant cloître, château et murailles. Longtemps délaissée, " comme une sorte de phare qui ne peut arracher à son indifférence le flot mouvant des hommes à ses pieds " (2), l’église fut restaurée et fouillée dans les années 80, en même temps qu’ Aldebertus, une association de passionnés, se créait pour assurer sa sauvegarde et sa mise en valeur. Aujourd’hui, grace à ces efforts, les restes du prieuré dominent toujours la plaine du Forez et arbore avec fière allure les empreintes de sa splendeur passée, tout en gardant une part de son mystère.
Sur le chevet extérieur, un décor en réticulés employés en losange ainsi qu’une frise de panneaux sculptés.
Concernant les origines historiques, ce sont les mémoires du prieur Jacques de Bouthéon, au XVème siècle, qui nous donnent les principaux renseignements à propos du prieuré et de son église, placée sous le vocable de Saint Romain (et non de Saint Martin ) depuis le début du XIème siècle. Selon ces écrits, c’est un chevalier du nom de Bouchetal (Boschitealus) qui offrit à l’abbaye bénédictine d’Ainay (à Lyon) vers 983, sous le règne de Conrad le Pacifique, un lieu de culte (simple église ou monastère ?) sis sur le pic. Dans le même temps, un couple de nobles foréziens, Lancerannus et Raymondis, donnaient à cette même abbaye des terres s’étendant sur le piton volcanique.
En 1007, le prieuré fut fondé et l’abbaye d’Ainay désigna Aldebert (Aldebertus) comme premier prieur. L’acte de fondation se situe à une période de grand développement de la vie monastique en Europe. En Forez, dès le XIème siècle, on compte près de soixante établissements de l’ordre bénédictin, le plus souvent situés le long des axes de communication. Concernant l’abbaye-mère d’Ainay, elle essaimera cinq prieurés dans la Loire: à Saint-Romain-le-Puy, Saint-Thomas-la-Garde, Saint-Christo, Estivareilles et à la Tourette. Mais celui de Saint-Romain-le-Puy fut le plus important parmi ceux qui lui étaient rattachés et probablement le plus riche, même si la communauté des moines ne dut pas dépasser les cinq ou six religieux.
Les bâtiments conventuels, le château et les murailles
Des bâtiments conventuels (habitations des moines, cloître…) il ne reste plus grand chose. On sait simplement du cloître qu’il devait être assez vaste et de la forme d’un carré de 20 mètres de côté. Le château quant à lui, qui enserrait le prieuré dans ses murailles et qui, depuis l’accord de 1173 entre Comtes de Forez et archevêques de Lyon appartenait à la famille de Forez, formait un quadrilatère irrégulier long de 40 mètres et large de 20 mètres. Ses murailles avaient trois pieds d’épaisseur. Une autre en contrebas et ses sept tours formaient une première ligne défensive, dont il ne reste que quelques pans de murs.
Décadence du site
A plusieurs reprises, le prieuré et le château eurent à subir les assauts de troupes armées et de la maladie. En 1348, la peste noire ne laisse que trois habitants dans le bourg de Saint-Romain. En 1431, pendant la guerre de Cent ans, ce sont les Routiers de Villandrando de sinistre mémoire qui les mettent à sac. Les murailles détruites sont relevées puis tombent à nouveau. Au XVIème siècle, ce sont les soldats calvinistes qui ravagent le château. En revanche en 1589, Balthazar de Rivoire, seigneur du Palais (Feurs) défend victorieusement la forteresse qu’assiège le duc de Nemours. En 1633, Richelieu ordonne la démolition des murailles et précipite du même coup la décadence du prieuré ouvert aux quatre vents. En 1666, Jacques de Bérulle, archevêque de Lyon et prieur non-résident de Saint-Romain décide de mettre fin à la communauté. En 1684, le prieuré est sécularisé par une bulle du pape Innocent IV et désormais un seul prêtre réside sur place. Les décennies qui suivent voient la ruine des bâtiments. A la révolution, le prieuré ou ce qu’il en reste est vendu comme bien national avant de revenir à la commune en 1885.
L’église prieurale
L’église est construite selon une architecture complexe résultant de l’imbrication d’éléments rattachables à plusieurs phases de construction et de réaménagement échelonnées sur une très longue période. L’édifice emprunte surtout à l’architecture romane et le mieux pour le décrire et mettre en évidence son particularisme est de la confronter à une architecture romane classique.
A droite, une église d’architecture romane, adoptant un plan harmonieux en forme de croix latine. Cette forme renvoie à l’image du Christ sur la croix : la nef qui occupe une surface importante symbolise son corps; le transept qui coupe la nef centrale évoque ses deux bras, la croisée des transepts son torse, et l’abside qui entoure le chœur signifie sa tête.
- On remarque dans le plan de l’église Saint-Romain que la surface de la nef est réduite et étroite par rapport à la surface du chœur. Il n’y a pas de bas-côtés longeant la nef centrale de part et d’autre.
- On note la présence de deux exèdres semi-circulaires qui se font face de part et d’autre à l’articulation du chevet et de la nef. Ici c’est plus de « faux transept » que de transept dont il faut parler.
- Le chevet surélevé par rapport à la nef est traversé par une sorte de deuxième transept étroit qui dessert deux absidioles.
- Enfin le chœur est lui même prolongé d’une vaste abside surélevée au dessus de la crypte.
En définitive, le plan forme une croix à quatre bras, dite patriarcale, et que l’on doit à la juxtaposition de deux constructions distinctes : la vieille église du chevalier Bouchetal (nef et exèdres) et celle d’Aldebert à l’époque romane (chevet et absidioles).
A noter encore que l’abside est décalée vers le nord de l’axe du chœur. Elle symbolise l’inclinaison de la tête du Christ sur la croix.
Nous voici dans la courte nef et l’on est immédiatement happé par la beauté du lieu. La lumière qui joue avec les formes géométriques des chapiteaux, les couleurs vives des fresques inachevées, la pierre, la chaleur et l’ombre… un mot vient à l’esprit : harmonie.
Nous avançons encore en direction du chevet auquel nous accédons par une dizaine de marches. D’une hauteur de 12 mètres sous la voûte dans la nef, nous passons à celle de 9 mètres sous la voûte dans le chevet. De part et d’autre du « deuxième transept » (ou travée de chœur) des arcs ouverts permettent le passage vers les absidioles symétriques à l’abside.
L’autre atout et non des moindres de l’église du prieuré de Saint-Romain-le-Puy, ce sont ses chapiteaux sculptés, environ une cinquantaine qui coiffent pour la plupart les colonnes de son chevet intérieur et de sa crypte mais qu’on retrouve aussi sur le mur extérieur du chevet. Les sujets représentés sont variés et imprégnés de l' influence méditerranéenne; on remarque beaucoup de motifs géométriques (entrelacs) mais aussi des motifs floraux et des feuillages.
La crypte Saint-Jean-sous-Terre
Son tracé reproduit à peu près le plan du chœur de l’église. Destinée à garder des reliques, probablement celles de Saint Romain d’Antioche, elle comporte cinq arcs, dont deux aveugles, qui reposent sur des colonnes dont les chapiteaux sont ornés d’une iconographie plus riche que l’église haute. On y retrouve la svastika, la roue solaire et surtout des animaux : paons ou phénix s’abreuvant dans une même coupe, lion ou dragon crachant du feu.
Notre visite est maintenant achevée. Dans la fraîcheur de la nef, nous nous inclinons une dernière fois devant les hommes qui ont élevé ce monument et nous reprenons le chemin de la plaine brûlée par le soleil.
L’église est née de la prairie et s’en nourrit perpétuellement, - pour nous en sauver. "